Lors d'un billet précédent, je vous ai présenté une formule hébraïque accompagnant un talisman pour attirer bonne fortune. Voyons pourquoi il n'est pas à prendre tel quel.
Originairement, cette phrase, que l'on peut trouver dans le Sefer Raziel (page 42b) est issue d'une transformation d'un verset biblique par le procédé de l'Aïq Bekar :
Georges Lahy l’a reprise dans un de ces livres, "Kabbale extatique et tserouf", sous la forme suivante :
Dans un autre livre, Georges Lahy la reprend a nouveau, sous cette forme :
Nous remarquons qu'à chaque exemple, la formule n'est pas la même.
Faisons un petit tableau comparatif avec toutes les graphies :
Les colonnes en rouge symbolisent des lettres différentes.
Reprenons nos 9 chambres de l’Aïq Bekar. L’un des grands principes de cette transformation repose sur une rotation d’une lettre en une autre, appartenant à la même chambre. Par exemple et pour faire simple , la lettre de valeur 10 va se transformer en lettre de valeur 1 ou lettre de valeur 100, et en aucune autre car la transformation doit rester dans la même chambre (ici la 1ère, comprenant les lettres 1 , 10 et 100).
Partant de ce principe, nous constatons que :
- Position 16, formule Lahy 1 : Vav (ו) ne fait pas partie de la chambre ou se situe la lettre originale, Resh (ר), en chambre 2. Resh ne peut donc pas se transdormer en Vav de quelque façon que ce soit. La graphie proposée dans la formule de Lahy 2 semble corriger cette erreur.
- Position 17, formule Sepher Raziel : Vav (ו) ne fait pas partie de la chambre 1, contenant Aleph (א). Aleph ne peut donc pas se transformer en Vav de quelque façon que ce soit. La graphie de Vav (ו) est très proche de celle de Yod (י) qui lui se situe dans la chambre 1. C’est certainement une erreur typographique.
- Position 28, formule Sepher Raziel : ‘Heth (ח) ne fait pas partie de la chambre de Vav (ו), c’est donc une erreur, certainement volontaire car les deux graphies sont assez éloignées.
- Position 33, formule Sepher Raziel : Aleph (א) ne fait pas partie de la chambre de Noun (נ), c’est également une erreur volontaire.
- Position 34, formule Lahy 3 : Kof (ק) ne fait pas partie de la chambre de Vav (ו), c’est donc encore une erreur.
De plus nous avons quelques incohérences :
- Postion 5, 32 et 43 : le khaf final (ך) ne renvoie pas la même lettre transformée
- Position 3, 14 et 26 : le daleth (ד) ne renvoie pas toujours la même lettre transformée
- …
Essayons d’appliquer le principe de l’Aïq Bekar à notre verset originel, en utilisant l’une des deux rotations qui colle le mieux :
Appliquons la rotation 2 et comparons les résultats :
- les lettres en vertes suivent les principes de l'Aïq Bekar : on peut les considérer comme bonnes
- les lettres en rouge ne suivent pas les principes
- les lettres en jaune sont bonnes suivant l'une ou l'autre des graphies proposées par les auteurs
- les lettres en orange sont bonnes mais sous la mauvaise graphie (lettres finales)
Quelques erreurs peuvent être corrigées facilement :
- position 4 : la graphie entre (ב) et (כ) est pratiquement la même, d’autant plus que les positions 9, 16, 31 et 35 renvoient la lettre ב. C’est donc bien un Beth en position 4 et non un Khaf comme le prétendent les auteurs.
- position 8 : La lettre renvoyé est un Phé (פ). Or il se trouve que ce Phé est en fin de mot et prend donc sa graphie de lettre finale : ף. La transformation est juste.
- position 16 : au vu des autres positions 4, 9, 31 et 35, nous pouvons considérer que Beth est la bonne lettre, d’autant plus qu’il apparaît dans deux autres formules.
- position 19 : au vu des positions 29 et 38, nous pouvons considérer que ד est la bonne lettre, d’autant plus qu’elle apparaît déjà dans une formule sur 3.
- position 24 : A l’instar de la position 8, c’est la forme finale de Noun (נ) qui est à prendre en considération pour le résultat final : ן. La transformation est correcte.
- position 26 : Au vu des positions 3 et 14, nous pouvons considérer que la bonne lettre est Mem (מ). Il est possible que cette erreur soit une erreur de graphie car מ et ת se ressemblent légèrement, faisant une sorte de pont avec deux jambes.
- position 28 et 34 : Au vu des positions 1, 20, 23, 30 et 37, nous pouvons considérer que ס est la bonne lettre. De plus, pour les cas litigieux, nous la retrouvons dans 2 formules sur 3.
- position 5,32 et 43 : L’hypothèse suivante peut être une explication valable : la lettre (ך) est un khaf dans sa forme finale. Si l’on regarde le tableau de transformation, khaf dans sa forme non finale (כ) renvoie la lettre Resh (ר), que l’on peut retrouver dans toutes les formules. La position 43 serait alors une erreur des auteurs. Il ne faudrait donc pas prendre en compte lors de la transformation l’aspect final des lettres mais bien la lettre en elle-même.
Ce qui nous donne, une fois corrigés, les résultats ci-dessous :
- position 36 : encore une fois, il doit s’agit d’une erreur volontaire des auteurs ou d’une mauvaise recopie. La position 17 nous donne bien un Yod comme lettre transformée.
- pour les autres erreurs, nous remarquons qu’elles concernent pratiquement à chaque fois les lettres ayant une valeur numérique comprise entre 10 et 100. De plus, si nous appliquons la rotation 1 au lieu de la rotation 2 sur ces lettres, toutes les erreurs sont corrigées et nous obtenons le résultat suivant :
Pour les dernière erreurs, elles sont facilement explicables de part la graphie proche des lettres כ, ר et נ. Position 10, la lettre originelle Khaf ne peut donner la même lettre par rotation. Khaf et Beth ont pratiquement la mêle graphie (position 10), tout comme Noun, qui peut représenter un Beth un peu écrasé (position 15). Position 11, Resh peut ressembler à un Beth sans son empattement bas.
Ainsi, nous obtenons une nouvelle formule, différente des trois autres, avec une utilisation de l’Aïq Bekar conforme dans les règles, mais avec une rotation dans un sens pour les lettres 1 à 9 et 100 à 900, et dans l’autre sens pour les lettres 10 à 99 :
Voici ce qui serait, corrigée, la véritable formule pour activer le talisman censé apporter « la réussite des affaires commerciales » :
סנמבר טגף בבכ זג מכב ידד סזהסן טמא סדסבר הסביסד אדאהרBien entendu, cette analyse n'engage que moi et les observations faites, d'un point de vue logique, et il est possible que des subtilités de l'Aïq Bekar m'aient échappées.
Mais le but de ce petit exercice - assez difficile a suivre, j'en conviens - est encore une fois, de faire prendre conscience qu'il ne faut pas forcément prendre à la lettre ce que l'on trouve. Et donc, de garder l'esprit critique pour essayer de comprendre ce qui se cache derrière tel ou tel principe.
C'est important en spiritualité et d'autant plus en magie, pour ne pas prendre un mauvais chemin, que l'on travaille avec la Lumière ou avec l'Ombre.
PS : pour celles et ceux qui sont intéressés, cet article est disponible en pdf pour une lecture facilitée. A demander en mp !
Sasmaliman