Attention, cet article est assez long et pointu. Pour ceux qui sont motivés, prenez le temps de le lire, il est intéressant pour comprendre l'une des références en magie.I - Introduction
Dans son « De Occulta Philosophia », publié en 1533, Henri-Corneille Agrippa donne des dessins et des carrés magiques, correspondant à chaque planète.
Il en dit :
« Les Mages nous ont transmis les sceaux et les nombres des sept planètes que l’on appelle aussi tables sacrées, car elles possèdent de grandes et nombreuses vertus célestes dans la mesure où elles représentent l’harmonie des nombres célestes. Ces nombres, nous l’avons vu, sont communiqués aux choses célestes par l’esprit divin au moyen de l’âme du monde. Il faut y ajouter l’harmonie parfaite des rayons célestes qui descendent, captés par les signes, les nombres ou proportions attribués aux Intelligences célestes. Cette harmonie ne peut s’exprimer que par des chiffres et des caractères. En effet, la représentation matérielle des nombres et des signes n’est rien d’autre dans les mystères des choses cachées que la représentation des figures et des nombres essentiels qui dirigent et forment les choses à partir des nombres divins par l’intermédiaire des Intelligences.
Ces signes contribuent à unir la matière à l’esprit et à l’âme pourvu qu’elle soit animée d’une forte volonté et d’une grande concentration. Ainsi, par la vertu de l’opération des corps célestes, il est possible d’arriver à Dieu à travers l’âme de l’univers et les aspects célestes. Il est possible de fixer cette énergie sur une matière de forme convenable, préparée selon les règles de la science et de l’art magiques ».
Puis il poursuit en décrivant chaque carré correspondant aux 7 planètes, donnant également pour chacune d’entre elle, son signe ou caractère, son intelligence et son « daïmon », en précisant que : « le chercheur patient qui comprendra la clé de la construction de ces tables trouvera facilement comment on peut en tirer les signes et les caractères des étoiles comme des génies stellaires ».
A chacune des 7 planètes – définies d’un point de vue magie et ésotérique, c’est-à-dire la Lune, Mercure, Vénus, le Soleil, Mars, Jupiter et Saturne – est donc associé un carré magique. Un carré est dit magique s’il remplit les conditions suivantes :
- sa grille est carrée, c’est-à-dire qu’il est composé de n fois n cases. N est appelé l’ordre du carré.
- les nombres sont placés de telle manière que la somme des nombres composant chacune des colonnes, chacune des lignes et les deux diagonales principales soit identique. C’est ce qu’on appelle la constante du carré.
- et que chaque case contient un nombre qu’il n’apparait qu’une seule fois dans le carré. L’addition de la totalité des nombres de chaque case forme la somme du carré.
A noter qu’il existe un carré d’ordre 10, dit carré de la Terre, produit par Robert Ambelain et son entourage, que l’on trouve dans son ouvrage, « La Géomancie Magique » publié en 1940. Sa constante fait 505 et sa somme 5050.
II - Construction des carrés – Utilité des « caractères » planétaires
Construire un carré magique n’est pas chose facile si l’on ne connait pas un minimum de théorie. Tout au plus le carré de 3x3 peut facilement être retrouvé, alors que les carrés d’ordre plus grand posent plus de difficultés. Au fil des siècles les mathématiciens ont décortiqués les carrés magiques et leurs propriétés et façonnés des méthodes mathématiques pour les construire sans se torturer l’esprit.
Mais au temps d’Agrippa, toutes ces théories n’étaient certainement pas connues. Il fallait donc un moyen mnémotechnique pour refaire un carré facilement.
C’est ici qu’interviennent les « caractères » des planètes. Pour chacune d’entre elle, Agrippa nous donne un dessin ésotérique, correspondant à l’identité ou au « caractère » de la planète. Ce sigil se révèle être simplement une aide pour construire le carré magique de la planète considérée, c’est-à-dire un véritable mode d’emploi pour mettre les bons chiffres au bon endroit.
Voici l'exemple pour SaturneAutre exemple pour Jupiter :Les carrés d'ordre pair se construisent en partant d'un carré miroir, c'est dire que l'on écrit les chiffres dans l'ordre, de la droite vers la gauche.
D’une façon plus simple, toutes les valeurs des cases orange se retrouvent dans la case symétriquement opposée au centre du carré.
On s'aperçoit que tous les "caractères" donnés par Agrippa servent de pense-bête pour retracer le carré correctement. Mention spéciale pour la Lune (carré de 9x9) ou il semble être le seul à ne pas donner de réelles directives.
III - Les intelligences et les génies (Démons) des planètes
Agrippa nous donne pour chaque planète des noms d’intelligences, de daïmons, en rapport avec les nombres significatifs des carrés, ainsi que leur dessin représentatifs, en précisant qu’ils sont issus des carrés magiques. Ce qu’il ne nous donne pas, c’est la façon dont ces dessins sont réalisés.
Afin de comprendre la méthode utilisée, il est nécessaire d’avoir quelques notions sur un système de transformation des lettres, chère a Abraham Aboulafia : l’Aïq Bekar ou la kabbale des 9 chambres. Dans ce système, les lettres de l’alphabet hébraïque, formes finales comprise, sont divisées en 9 groupes de 3 lettres. Le découpage se fait suivant le tableau ci-dessous :
Le principe est qu’une lettre ne peut être remplacée que par une autre lettre présente dans la même chambre. Par exemple, la lettre Lamed (ל), présente dans la chambre 3, ne sera remplacée que par Shin (ש) ou Guimel (ג).
Dans le cas qui nous intéresse, cette transformation peut s’avérer utile pour faire « baisser » la valeur d’une lettre, afin de la faire correspondre avec un chiffre présent dans un carré, tout en gardant l’énergie du nom.
Par exemple, pour Yohphiel, l’intelligence de Jupiter (יהפיאל), la lettre Phé (פ) possède la valeur de 80. Or le carré magique de Jupiter ne comprend que 25 cases : la valeur de Phé doit être baissée pour qu’elle soit inférieure à 25 et ainsi qu’elle puisse correspondre à une case. Selon l’Aïq Bekar, Phé fait partie de la chambre 8. De valeur 80, Phé va se transformer en Heth (ח), de valeur 8.
On applique ce procédé à chaque lettre du nom posant problème. Avec ceci, nous pouvons aisément avec ces transformations éventuelles, « tracer » un chemin correspondant à chaque lettre du nom de l’intelligence ou du démon considéré.
Toutefois, nous remarquerons qu’Agrippa a pris quelques libertés sur les transformations des lettres pour créer les sigils correspondants :
- certaines lettres sont associées entre elles pour former un nouveau nombre. Le cas le plus fréquent est le couple Yod/Aleph, de valeur respective 10 et 1, lettres qui se retrouvent associées pour donner la valeur 11 (10+1). Nous retrouvons cette transformation pour le dessin de l’intelligence de Jupiter (Yohphiel), pour l’intelligence de Mars (Graphiel), pour l’intelligence de Vénus (Hagiel) et pour l’intelligence de Mercure (Tiriel). Nous observons trois autres types d’associations, que nous retrouvons toutes dans les intelligences et les démons de la Lune. Caph (20) et Aleph (1) vont se transformer en valeur 21 (20+1). Le couple Shin (300) et Hé (5), va se transformer en valeurs 30 (passage par l’Aiq Bekar) et 5, pour former la valeur 35. Enfin le couple Shin (300) et Mem (40), prendra les valeurs de 30 (transformation par l’Aiq Bekar) et 40, pour donner la valeur 70 (30+40).
- certaines valeurs de lettres sont abaissées par l’Aiq Bekar, alors qu’elles existent dans le carré. Par exemple le lamed final de l’intelligence du Soleil (Nachiel), de valeur 30 : cette dernière existait dans le carré du Soleil qui compte jusqu’à 36 cases. Or celle-ci a été remplacée par la valeur 3, ce qui n’est pas le cas pour le démon ou génie de Vénus.
- certaines valeurs de lettres sont abaissées parfois d’un cran, parfois de deux crans (200 transformé en 20 ou en 2), d’autres lettres de même valeurs sont abaissées, et d’autres pas.
Ceci a-t-il été fait intentionnellement par Agrippa pour rendre les sigils plus esthétiques ou pour une autre raison ? Nous l’ignorons.
Certains signes se trouvent ainsi déformés, mais la forme globale est toujours respectée, que ce soit pour n’importe quel sigil, toutes planètes confondues, ce qui confirme le procédé utilisé par Agrippa pour les créer.
Voici donc deux exemples pour illustrer cette méthode.
Le génie de Jupiter :L'intelligence du Soleil:IV - En conclusion
Il serait impensable de mettre dans un seul article toutes les explications et exemple pour la totalité des sigils des toutes les planètes. Les quelques exemples ci-dessus devrait vous permettre de comprendre qu'en magie, rien n'est fait au hasard et tout doit être murement réfléchi - même au temps d'Agrippa !
A noter qu'Agrippa a parsemé quelques erreurs ici et là (involontaires ou pas) sur les noms des intelligences et des démons. Mais l'étudiant perspicace a toutes les clés pour les déceler et les corriger par la méthode de construction des sigils.
Pour ceux qui veulent s'essayer :
- Il y a une erreur dans le nom de l'intelligence des intelligences de la Lune
- Il y a une erreur dans le nom du génie de Mars
- ...
A vous de les retrouver !
Sources / bibliographie pour aller plus loin :- Recherches et analyses personnelles.
- Agrippa, Cornelius. De Occulta Philosopha. Original latin et traductions françaises
- Ambelain, Robert. La géomancie Magique.
- Cazalas, E. Les Sceaux Planétaires chez C. Agrippa in Revue de l’histoire des religions
- Descombes, René. Les carrés magiques planétaires d’Agrippa.
- Lehrich, Christopher. The language of demons and angels.
- Spartakus Freeman. Les carrés magiques dans la Talismanie d’Agrippa
- Spartakus Freeman. Agrippa et les carrés planétaires.